Le jour où j’ai appris à dire non pour le bien de ma pratique

*Cet article est une adaptation écrite de l’épisode 43 du podcast.

Dans cet article, je te parle de mon cheminement pour apprendre à dire non. Parce que c’est incroyable comment ces trois petites lettres peuvent être difficiles à prononcer et que ça peut nous faire peur en tant que professionnel. Ça fait un peu plus d’un an que j’ai compris tout le pouvoir du non et que je me mets en priorité. Maintenant que je remarque l’impact positif que ça a autour de moi, je me dis que j’aurais dû commencer bien avant.

Contexte COVID

En fait, je pense que le contexte de la pandémie y est pour quelque chose dans mon désir de te parler du fameux non. Avec tous les changements socio-professionnels qui se voient sur le terrain, que ce soit au public ou au privé, on se retrouve à tous être débordé de demandes. 

Moi-même, j’ai maintenant une liste d’attente de plus de 3 mois, chose que je n’ai jamais eue auparavant. Encore la semaine passée, j’ai eu 6 nouvelles demandes. J’ai tenté de les référer, mais la plupart des endroits où je voulais référer n’étaient pas plus en mesure que moi de faire la prise en charge. 

On peut dire que c’est crève-coeur de parler avec des parents plein d’espoir juste parce que tu es la première qui répond au téléphone ou qui retourne leur appel. On voudrait aider tout le monde, mais en même temps, ce n’est pas réaliste. 

D’autre part, (c’est peut-être parce que j’ai fait de la gestion de sa pratique et de l’épanouissement dans son milieu mon cheval de bataille) j’ai eu plusieurs discussions avec des collègues dans les dernières semaines et le même son de cloche revenait toujours. Les professionnels sont épuisés. Ils croulent sous les demandes et n’ont jamais eu autant de défis pour tout faire « fitter » dans l’horaire. Ils veulent se préserver, mais se disent « Oui, mais si je n’aide pas ce jeune, qui le fera? ». 

Bref, il n’y a absolument rien dans le contexte actuel pour nous aider à dire non sans se sentir coupable.

Syndrome du sauveur

Une des raisons pour lesquelles il peut être difficile de dire non, particulièrement pour les gens qui comme toi et moi, travaillent dans le domaine de la santé, de l’éducation et de la relation d’aide, c’est le syndrome du sauveur. On connait le syndrome de l’imposteur, mais moins le syndrome du sauveur qu’on pourrait comparer à une forme d’altruisme non équilibré.

En gros, on a peur de déplaire. On veut absolument aider les autres. On se dit qu’on est les seuls à pouvoir le faire alors on accepte des demandes au détriment de notre équilibre professionnel et parfois même de notre santé mentale. 

Parfois, quand un parent t’appelle et te dit que tu es la première d’une série d’orthophonistes à répondre au téléphone, qu’il semble découragé, qu’il ne sait plus quoi faire, ton premier réflexe est probablement de te dire que tu ne peux pas laisser cette personne à elle-même ne serait-ce que quelques jours de plus…

Ça m’est arrivé souvent, quand je prenais les messages sur ma boite vocale de me demander comment je pourrais intégrer un client de plus dans mon horaire ou de me dire que je pourrais faire des entorses à mes règles d’intervention et à mon champ d’expertise pour soutenir le jeune et sa famille. Toutes les fois où je l’ai fait, je me suis retrouvée à me sentir incompétente dans mon rôle et parfois même à redouter ces rencontres. Pas en raison du jeune et de sa famille, mais en raison de mon choix. Je m’en voulais d’être sortie de mon horaire habituel parce que je devais compenser ailleurs. Ou encore, je prenais un temps fou à préparer mes rencontres parce que le jeune ne correspondait pas à ma clientèle cible, ce qui faisait que j’étais « moins rodée » pour mes interventions. Et j’avoue que plus souvent qu’autrement, je me sentais peu efficace. Bref, ce n’était rien pour contribuer à mon plaisir au travail au contraire. 

Dire non c’est bon pour tout le monde

C’est dans ces moments que je comprenais que dire non aurait été bon non seulement pour moi, mais également pour mes clients. Attention! Je ne dis pas que je ne donnais pas le meilleur de moi-même, mais comme ce n’était pas dans les conditions idéales pour moi, ce meilleur n’était pas à la hauteur de mes attentes et je me mettais une pression supplémentaire. 

On pourrait se dire que c’est mieux que le jeune reçoive du support de ma part que rien, mais immanquablement, pour tous ces jeunes, j’ai fini par être confrontée à mes limites plus rapidement et j’ai souvent fini par les référer à des collègues qui avaient beaucoup plus d’expérience que moi. Et ce n’est pas du tout pour me discréditer, mais quand je voyais tous les progrès que ces jeunes faisaient avec elles, c’était tellement gagnant!

Parfois, on pense que dire non c’est comme fermer la porte au nez de la personne. Cependant, c’est être honnête tout simplement. Maintenant, quand je dis non, je sais que c’est pour le bien de tous. Parce que je sais que je ne serai pas à la hauteur de l’orthophoniste que je veux être. Je sais que même si mon client progressera, il pourrait progresser davantage avec une autre qui est plus spécialisée que moi pour sa problématique. 

C’est vrai que parfois c’est crève-coeur parce qu’on sait qu’il ne sera pas pris en charge rapidement. Cependant, depuis quelque temps, j’apprends aussi que dire non c’est bon pour tous les autres que je pourrais bien aider à la hauteur de mes compétences et qui me permettront de vraiment exprimer mon potentiel d’orthophoniste. Souvent, quand j’accepte de voir un client qui ne cadre pas dans mon « champ d’expertise », ça me prend plus de temps donc la plupart du temps, j’aurais pu prendre 2 autres clients. 

Bref, ce n’est pas juste pour le client en question et pour moi-même que ce n’est pas optimal, mais pour tous les autres que j’aurais pu aider d’une manière ou d’une autre. Ceci dit, je ne ferme pas forcément la porte au nez de cette personne, mais je circonscris la façon dont je peux l’aider que ce soit en prenant le temps de répondre à ses questions, en lui suggérant des ressources qu’elle ne connaissait peut-être pas ou encore en l’écoutant tout simplement. En faisant ça, je remarque que non seulement je suis plus satisfaite du support que j’offre, mais les parents sont reconnaissants également, car malgré que je ne fais pas de prise en charge complète, ils se sentent soutenus. 

Dire non pour mieux dire oui

On peut aussi dire non à des demandes, à des propositions, à des collaborations, etc. 

Ça fait peur dire non, car parfois, ce sont de super belles opportunités qu’on nous offre. Imagine qu’on t’offre un super poste, mais qu’il est plus loin de chez toi que ton poste actuel. Tu es quand même bien dans ta situation. Tu n’avais pas envisagé ce nouveau poste. Il t’ouvrirait plein de portes, te donnerait plein de belles opportunités, mais… Pour différentes raisons, il y a quelque chose qui te retient. Tu hésites, tu n’es pas sûre… Et tu finis par refuser ce poste qu’on t’offre. On va se le dire, ça fait peur quand on dit non parce qu’on se demande si on vient pas de cracher sur LA chance de notre vie! On peut parfois regretter, mais ça dure rarement. 

Souvent, il finit toujours par y avoir d’autres choses qui s’offrent à nous. Peut-être pas les mêmes, mais toujours intéressantes. C’est un peu la même chose avec un client. Parfois on se dit qu’on ne peut pas refuser (surtout au privé) parce qu’on se dit que peut-être on n’arrivera pas à combler la plage horaire. Puis il finit toujours par y avoir une autre demande qui arrive. 

Personnellement, j’ai plus souvent regretté les fois où j’ai dit oui à quelque chose pour lequel je n’étais pas convaincue que l’inverse. 

Dire non pour créer une pratique à son image

J’en parle de plus en plus parce que c’est vraiment important pour moi, mais j’ai toujours dit que si j’aime autant mon métier, c’est parce que je le pratique dans les conditions qui me conviennent. Et ça ne veut pas dire qu’il faut être au privé forcément. Pour ma part, c’est le contexte qui me convient, mais ce n’est pas n’importe quel contexte de pratique privée qui me convient non plus. 

Comme dans le secteur public. Tu peux être super bien à travailler dans un CSS alors que dans un autre CSS tu étais moins bien pour des raisons qui t’appartiennent. C’est la beauté de la chose. Comme on est tous différents, on peut tous pratiquer différemment donc répondre à une plus grande variété de besoins. 

Dire non c’est une belle façon de créer un milieu à ton image. Toutes les fois où j’ai dit oui, où je me suis sentie inconfortable et où j’avais des irritants m’ont permis de mieux dire non par la suite. Souvent, quand ça arrive, je prends un moment pour revoir mes principes. Et ce n’est pas rare qu’à la suite de ces réflexions, j’ai revu mes principes. J’ai parfois même déjà retiré des services de mon offre ou modifié des structures pour me sentir mieux. Par la suite, je n’y voyais que du positif pour tout le monde. 

MON truc pour mieux dire non

Quand j’ai une demande et que ça ne cadre pas dans ma ligne directrice, je repense à mon objectif qui est de toujours donner le meilleur à mon client et si je reste honnête par rapport à ça, je ne suis clairement pas la personne qui pourrait donner le meilleur à ce jeune.

Ce qui m’aide à dire non, c’est d’être honnête tout simplement. Je sais c’est niaiseux hein, mais au lieu de dire que je n’ai plus de place ou encore que ça va trop loin parce que je me sens mal de lui dire simplement non, j’explique. Les gens comprennent. Mieux qu’on pense même.

Donc je t’invite à essayer de dire NON tout simplement la prochaine fois que « tu ne le sens pas ».

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